Autoélagage — Wikipédia
L'autoélagage, appelé aussi élagage naturel, est la capacité naturelle qu'ont les branches de la plupart des essences d'arbres, lorsqu'elles sont moins bien alimentées (donc moins vigoureuses), à l'ombre de branches supérieures (branches basses ou tombantes), ou trop à l'intérieur du houppier, à dépérir et se dévitaliser, et à se détacher du tronc, sans y laisser de blessures durables et importantes. Il explique que dans les peuplements denses forestiers, et dans les forêts primaires non gérées et non plantées, les troncs soient généralement très longs et rectilignes.
Une fois tombé au sol, le bois mort est dégradé par les organismes saproxylophages et pour partie réintégré dans l'écosystème local via l'humus notamment.
L'autoélagage de la partie basse du tronc se produit surtout dans la plupart des forêts primaires.
Processus
[modifier | modifier le code]L'élagage naturel élimine trois types de branches :
- les branches affaiblies (parasitisme de faiblesse) ;
- les branches mortes à la suite de cet affaiblissement, par exemple tuées par des champignons localement parasites[3] ;
- les branches ne trouvant plus assez de lumière par exemple parce qu'en concurrence avec des arbres voisins proches (la photonastie ne suffit plus ni d'autres formes de gestion par l'architecture du végétal)[4].
L'autoélagage est associé à un processus de cicatrisation et de re-fermeture de l'écorce, empêchant ainsi des pathogènes de s'installer et favorisant la croissance d'un tronc exempt de nœuds, doté d'une plus grande résistance mécanique. Il se révèle donc utile à la fois pour la vie de l'arbre et pour la qualité du bois[5] ; c'est le phénomène inverse de l'apparition de gourmands ou rejets de souche, qui est cependant aussi induit par des phytochromes[6].
Plusieurs mécanismes principaux expliquent ce processus :
- L'autoélagage par cladoptose ; les phytochromes sont situés dans les feuilles[4]. Ces photorécepteurs réagissent aux changements lumineux de l'environnement proche, en particulier les phytochromes sensibles au « rouge lointain » et ceux qui réagissent à la lumière bleue (via les cryptochromes et les phototropines dans ce dernier cas)[4]. Ces derniers sont à la base d'une signalisation (via les « Phytochrome interacting factors », impliquant des hormones et d'autres régulateurs). Si cette signalisation ne peut conduire à des réponses d'évitement de l'ombre (hyponastie, allongement de la tige et des pétioles), elle peut se traduire par une dominance apicale pour lancer l'arbre vers la canopée, et l'auto-élagage[4] ;
- L'autoélagage par des champignons spécialisés dans la vie sur branches mortes.
Cladoptose
[modifier | modifier le code]Ce processus implique l'existence, à la base des branches, d'une zone d'abscission constituée essentiellement d'un parenchyme peu vascularisé et sans fibres lignifiées. Cette zone est par la suite recouverte ou non par un tissu ligneux qui consolide la branche (phénomène de compartimentation) ; si ce recouvrement ne se produit pas, l'action du vent ou d'autres contraintes externes font chuter les branches possédant cette zone, avant qu'elles aient séché et alors qu'elles portent encore des feuilles[7]. Ce processus de termine par la formation d'un bourrelet de cicatrisation[8].
Champignons spécialisés dans la vie sur la branche morte
[modifier | modifier le code]Ce processus implique l'activité d'une communauté microbienne spécialisée qui parasite les tissus ligneux affaiblis (organismes biotrophes), les tue puis décompose les branches manquant de lumière (organismes nécrotrophes), ou simplement des micro-organismes saprotrophes (saproxyliques et saproxylophages) qui consomment des branches déjà mortes. Plusieurs études mettent en évidence la diversité taxonomique de ce groupe d'« élagueurs » : Stereum gausapatum, Vuilleminia comedens (ceb), Peniophora quercina, Phellinus ferreus (en), Phlebia rufa sur les branches de chênes ; Daldinia concentrica, Hypoxylon rubiginosum, Peniophora lycii et Peniophora quercina sur celles de frêne[9],[10].
L'absence de la communauté microbienne associée à des arbres importés dans une région et propre à chaque espèce ligneuse (épicéas en plaine, Pin de Monterey et cyprès introduits de Californie en Bretagne) a pour conséquence que l'élagage naturel ne s'effectue plus. L'aspect lisse du tronc correspond ainsi à une sculpture microbienne, les agents d'élagage étant des champignons microscopiques[11].
Intérêt économique et technique
[modifier | modifier le code]Un auto-élagage précoce de l'arbre produit un bois dont les nœuds sont plus petits, moins visibles et moins nombreux, car les branches en sont tombées d'elles-mêmes alors qu'elles étaient encore minces, en ne laissant que de discrètes cicatrices et des cernes annuels beaucoup plus réguliers. De plus, la hauteur du tronc autoélagué influe sur la longueur de la partie marchande du fût de l'arbre.
Favoriser l'autoélagage
[modifier | modifier le code]Certaines écoles sylvicoles, telle que Prosilva prônent une gestion proche de la nature et « pied à pied » qui permet d'éviter les coupes rases, afin de favoriser l'autoélagage qui produit le plus souvent des troncs bien rectilignes, tout en évitant les structures épicormiques qui déprécient le bois.
Le gainage des arbres par des herbacées, puis des buissons favorise aussi un tronc élancé qui cherche la lumière, et l'autoélagage du jeune arbre exposé au soleil.
Favoriser une régénération naturelle dense produit le même effet, avec une importante sélection naturelle.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Chez certaines espèces, une taille d'entretien supprimant des branches mortes peut être envisagée.
- Éric Teissier du Cros, Le hêtre, éditions Quæ, , p. 282
- Marc-André Selosse, « La biodiversité invisible et active des micro-organismes », Le Râle d’eau, no 148, , p. 9.
- (en) Martina Huber, Nicole M. Nieuwendijk, Chrysoula K. Pantazopoulou et Ronald Pierik, « Light signalling shapes plant–plant interactions in dense canopies », Plant, Cell & Environment, vol. n/a, no n/a, (ISSN 1365-3040, DOI 10.1111/pce.13912, lire en ligne, consulté le )
- Clément Jacquiot, La forêt, Masson, , p. 100.
- Roussel Louis (1978) Lumière, gourmands et rejets de souches ; Biologie et forêt ; RFF. 186 ?- 3-1978
- Christian Grosclaude, « Pathologie des blessures mettant à nu le bois chez les végétaux ligneux », Agronomie, vol. 13, no 6, , p. 445 (DOI 10.1051/agro:19930601)
- Ce bourrelet de recouvrement, appelé aussi bourrelet « cicatriciel » peut s'étaler insuffisamment à la surface du bois pourri attaqué par des champignons lignivores, gardant une ouverture (appelée œil de bœuf, nœud-gouttière ou abreuvoir) qui découvre le bois altéré, lequel se désagrège de plus en plus profondément. Cf « Les blessures des arbres », Annales des sciences forestières, vol. 8, , p. 91
- (en) Lynne Boddy, A. D. M. Rayner, « Origins of decay in living deciduous trees: the role of moisture content and a re-appraisal of the expanded concept of tree decay », New Phytologist, vol. 94, no 4, , p. 623-641 (DOI 10.1111/j.1469-8137.1983.tb04871.x)
- (en) Lynne Boddy, O.M. Gibbon, M.A. Grundy, « Ecology of Daldinia concentrica: Effect of abiotic variables on mycelial extension and interspecific interactions », Transactions of the British Mycological Society, vol. 85, no 2, , p. 201-211 (DOI 10.1016/S0007-1536(85)80183-2).
- Marc-André Selosse, Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Actes Sud Nature, , p. 89.