Frères Arvales — Wikipédia

Commentaire épigraphique des frères arvales (CIL VI, 2051)

Les Frères arvales (en latin Fratres Arvales) formaient un corps de prêtres de la Rome antique qui pratiquaient des sacrifices annuels en faveur de la déesse Dea Dia, divinité mal connue, pour garantir de bonnes récoltes. Leur culte est connu par les inscriptions qui sont des comptes-rendus de leurs rituels.

Quelques auteurs antiques évoquent les frères arvales, mais aucun ne précise quelle divinité était honorée. Selon la tradition romaine rapportée par Masurius Sabinus[1] et par Pline l'Ancien[2], ce culte était le plus ancien des cultes romains, et remontait à Romulus, qui avait formé le premier collège de frères Arvales avec les douze fils de sa nourrice Acca Larentia, d'où leur nom de frères et leur nombre fixé à douze. Toujours selon la tradition, Romulus remplaça un des frères décédé pour maintenir leur nombre.

Varron rattache l'origine de leur désignation au mot arva qui signifie « champs », et précise qu'ils faisaient des sacrifices pour la fertilité des champs[3].

Portrait d'Antonin le Pieux en Frère Arvale. Louvre

Les Frères Arvales formaient un collège de douze flamines spécialisés dans la célébration du culte de Dea Dia, chaque année lors de la pleine lune du mois de mai. Pour cette célébration ils faisaient le tour des champs, arva, d'où le nom d'Ambarvales donné à la fête. Nommés à vie, ils avaient rang de pontifes majeurs, revêtaient la toge prétexte, et portaient sur la tête une couronne d'épis nouée de bandelettes blanches. Lors de ces festivités, qui duraient trois jours, ils pratiquaient des sacrifices et menaient des processions en chantant le Carmen Arvale.

Les arvales sont généralement au nombre de douze, y compris l'empereur[4]. En fonction des circonstances, l'empereur peut être coopté en surnombre, de sorte que les arvales peuvent être au nombre de treize[4].

Le collège des arvales est présidé par un magister[4]. Celui-ci est élu chaque année au cours du sacrifice célébré in loco[4]. Il peut se faire remplacer par un promagister[4]. Le magister prend ensuite comme flamen l'arvale dont la confrérie lui propose le nom[4].

Le sacrifice débute à Rome, dans la résidence du magister de l'année, par un banquet au cours duquel les arvales offrent des céréales à dea Dia[5]. Après un jour de repos, les arvales se rendent au locus deae Diae, situé à cinq milles de Rome, sur la via Campana, sur les berges du Tibre[5]. Les arvales sacrifient une truie ante lucum pour expier leur entrée dans le bois sacré et son élagage[5] ; puis ils sacrifie une vache dans le cirque[5] ; enfin, à partir de midi, ils sacrifient une agna optima dans le bois sacré[5]. Au cours du sacrifice, la arvales effectue une offrande sur l'autel de la déesse ainsi que sur la table placée dans le temple[5]. Ils effectuent des offrande parallèles à la Matter Laurum, invitée de la déesse[5]. À la fin des rites célébrés dans le temple, les arvales déclament un carmen selon un rythme ternaire[5]. Après les sacrifices et le banquet sacrificiel, des jeux du cirque concluent le sacrifice[5]. Le lendemain, un banquet se tient dans la résidence du magister[5] alors que les arvales offrent sur l'autel, à dea Dia, des céréales[5].

Outre le sacrifice à dea Dia, les arvales participent, comme tous les prêtres publics, aux vœux pro salute principis le [5] ; et, selon les époques, ils participent à d'autres sacrifices concernant la santé ou les actions de l'empereur[5].

Sous l'Empire, il était d'usage que l'empereur soit coopté dans le collège des Arvales, s'il ne l'était pas déjà antérieurement. Ainsi, les Acta Arvalium mentionnent, à la date d'août 118, la cooptation d'Hadrien.

Habits et insignes

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Pour tous leurs actes religieux, les arvales revêtent la toge prétexte[5]. Lors du sacrifice de l'agna optima, ils ajoutent à la toge prétexte une couronne d'épis nouée avec des bandelettes et placée sous le pan de la toge qui recouvre leur tête[5].

Restauration de la prêtrise

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C'est Octave qui restaure la sodalité en 28 av. J.-C., bien qu'on n'ait aucune trace du culte avant cette date. Cette restauration, au sortir des guerres civiles, n'est pas anodine : il cherche à reconstruire l'unité de Rome. En créant une fraternité (on parle bien de frater Arvales), Octave rejoue, par-dessus des liens d'amitiés, des liens familiaux ; son discours de réconciliation passe par le cadre familial.

Actes des frères Arvales

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Les acta arvalium sont des comptes-rendus gravés sur plaques de marbre des réunions que tenaient les frères arvales pour célébrer le culte. Le premier fragment a été trouvé en 1570 dans une vigne à sept kilomètres de Rome sur la rive droite du Tibre. D'autres ont été trouvés dans la vigne des frères Ceccarelli, fortuitement, puis au cours de fouilles archéologiques menées à partir de 1866 et qui se poursuivent encore. L'emplacement fut identifié comme l'antique bois sacré dédié à Dea Dia, lieu de célébration des frères arvales. En 1980, on dénombrait environ 240 fragments de comptes-rendus pour 55 années différentes, comprises entre 28 av. J.-C. et 240 ap. J.-C., voire 304 ap. J.-C.[6].

Plusieurs types de comptes-rendus ont été retrouvés, une forme assez détaillée s'établit sous Domitien, dont la forme pratiquée à partir de 87 est connue. D'autres modèles suivirent, de plus en plus détaillés[7].

Actes de 38

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Deux fragments découverts en 1978 utilisés en réemploi dans le dallage de l'oratoire des Catacombes de Generosa (it) ont été raccordés à d'autres morceaux[8] trouvés antérieurement en 1867/1869. L'ensemble forme un texte de plus de 70 lignes. La datation indiquée par le nom des consuls correspond à 38 ap. J.-C.[9].

Actes de 218 et Carmen Arvale

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On a trouvé à Rome en 1778, dans une fouille, des tables de marbre transcrivant les actes de cérémonies réalisées par les frères Arvales en 218. Le compte-rendu contenait exceptionnellement un chant[7], écrit dans un latin archaïque, qui n'était certainement plus compris à l'époque de sa transcription[10]:

enos Lases iuvate
enos Lases iuvate
enos Lases iuvate
neve lue rue Marmar sins incurrere in pleoris
neve lue rue Marmar sins incurrere in pleoris
neve lue rue Marmar sins incurrere in pleoris
satur fu, fere Mars, limen sali, sta berber
satur fu, fere Mars, limen sali, sta berber
satur fu, fere Mars, limen sali, sta berber
semunis alterni advocapit conctos
semunis alterni advocapit conctos
semunis alterni advocapit conctos
enos Marmor iuvato
enos Marmor iuvato
enos Marmor iuvato
triumpe triumpe triumpe triumpe triumpe

Si certains passages de ce texte demeurent obscurs, ce chant est généralement interprété comme une prière à Mars et aux dieux Lares (lases, avec rhotacisme) ; il est demandé à Mars, rassasié (« satur fu »), d'empêcher les fléaux et les éléments de s'abattre sur les cultures, et l'on invoque les « Semones », peut-être des semeurs sacrés[11].

Actes de 240

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Les actes les plus récents datés de 240 ont été trouvés en 1914 en matériau de réemploi sous l'église San Crisogono in Trastevere[7]. Le texte[12] détaille plusieurs réunions avec le nom des participants, le détail des animaux sacrifiés et la description de rituels et des banquets pris en commun[13],[14].

Notes et références

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  1. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, VI, 7
  2. Pline l'Ancien, Histoires naturelles, XVIII, 2, 2
  3. Varron, De lingua latina, V, 85 [1]
  4. a b c d e et f Scheid 2005, p. 92, col. 1.
  5. a b c d e f g h i j k l m n et o Scheid 2005, p. 92, col. 2.
  6. Broise et Scheid 1980, p. 215
  7. a b et c André Piganiol, Observations sur le rituel le plus récent des frères Arvales, Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1946
  8. CIL VI, 2028
  9. Broise et Scheid 1980, p. 216-225
  10. E. H. Warmington, Remains of Old Latin, vol. IV : Archaic Inscriptions, Loeb Classical Library (réimpr. n° 359)
  11. Semo Sancus était une divinité agreste de la fidélité.
  12. Inscriptiones latinae selectae, III, 2, n 9522, p. CLXVI
  13. AE 1915, 102
  14. Xavier Loriot et Daniel Nony, La crise de l'Empire romain, 235-285, Paris, Armand Colin, 1997, (ISBN 2-200-21677-7), p. 213-216

Sources littéraires antiques

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Bibliographie

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  • Henri Broise et John Scheid, « Deux nouveaux fragments des actes des frères arvales de l'année 38 ap. J.-C. », Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 92, no 1,‎ , p. 215-248 (lire en ligne)
  • André Chastagnol, Observations sur le rituel le plus récent des frères Arvales, Scripta varia, III, collection Latomus 133, Bruxelles, 1973.
  • André Piganiol, Observations sur le rituel le plus récent des frères Arvales, Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 90e année, N. 2, 1946. p. 241-251, consultable sur Persée
  • John Scheid, Les frères arvales. Recrutement et origine sociale sous les empereurs julio-claudiens, Paris, 1975.
  • John Scheid, Le collège des frères arvales. Études prosopographique du recrutement (69-304), Rome, 1990.
  • John Scheid, Nouvelles données sur les avènements de Claude, de Septime Sévère et de Gordien III, « Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France », 1988, 1990. pp. 361-371, lire en ligne.
  • John Scheid, Romulus et ses frères. Le collège des frères arvales, modèle du culte public dans la Rome des empereurs, Rome, 1990 Compte rendu par Ph. Moreau, AESC, 1992.
  • John Scheid, « Le dernier Arvale », dans Michel Christol, Ségolène Demougin, Yvette Duval, Claude Lepelley et Luce Pietri éd., Institutions, société et vie politique dans l'Empire romain au IVe siècle ap. J.-C. Actes de la table ronde autour de l'œuvre d'André Chastagnol (Paris, 20-21 janvier 1989), Rome, 1992, pp. 219-223 lire en ligne
  • John Scheid, Paola Tassini, Jörg Rüpke, Recherches archéologiques à la Magliana. Commentarii Fratrum Arvalium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale (21 av.–304 ap. J.-C.), Rome, 1998.
  • John Scheid, Quand faire c’est croire : les rites sacrificiels des Romains, Paris, Flammarion, (1re éd. 2005), 350 p. (ISBN 978-2-7007-0415-0).
  • [Scheid 2005] John Scheid, « Arvales », dans Thesaurus cultus et rituum antiquorum [« ThesCRA »] [« Thésaurus des cultes et rites de l'Antiquité »], t. V : Personnel of cult. – Cult instruments [« Personnel de culte. – Instruments de culte »], Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, en association avec la Fondation pour le Lexicon iconographicum mythologiae classicae (LIMC), , 1re éd., XIX-502 p., 19,5 × 28 cm (ISBN 978-0-89236-792-4, EAN 9780892367924, OCLC 492539957, BNF 40121563, SUDOC 098971700, lire en ligne), chap. 2.a, rom. (« Personnel de culte : monde romain »), III (« Rome : cultes du peuple romain »), 2 (« Les sodalités »), d, p. 92-93.
  • [Scheid 2018] John Scheid, « Religion, institutions et société de la Rome antique », L'Annuaire du Collège de France : résumé des cours et travaux, vol. 116e année : « - »,‎ , p. 293-306 (DOI 10.4000/annuaire-cdf.12896, lire en ligne Accès libre [PDF]).

Liens externes

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