Néo-chamanisme — Wikipédia
Le néo-chamanisme (aussi appelé néochamanisme) réfère aux nouvelles formes contemporaines du chamanisme. Il désigne généralement le chamanisme pratiqué par les Occidentaux comme un type de spiritualité du Nouvel-Âge, sans lien direct avec les sociétés chamaniques traditionnelles[1]. Ce terme est parfois également utilisé pour les rituels et pratiques chamaniques modernes qui, bien qu'ils aient un certain lien avec les sociétés traditionnelles dans lesquelles ils sont nés, ont été adaptés d'une manière ou d'une autre aux circonstances modernes. Il peut s'agir de rituels « chamaniques » exécutés en tant qu'exposition, sur scène ou pour le tourisme chamanique[2],[1], ainsi que de dérivations modernes de systèmes traditionnels qui incorporent de nouvelles technologies et visions du monde[3].
Histoire
[modifier | modifier le code]Précurseurs du mouvement
[modifier | modifier le code]Michael Harner
[modifier | modifier le code]En 1960-61, l'anthropologue Michael Harner expérimente avec l'ayahuasca, une plante médicinale amazonienne, avec le peuple Conibo de l'Amazonie péruvienne[4], dont il a parlé dans les articles The Sound of Rushing Water (1968)[5] et The Role of Hallucinogenic Plants in European Witchcraft (1973)[6]. Harner est retourné dans le Jívaro en 1964, 1969 et 1973, où il a appris à utiliser le maikua (Datura brugmansia), un enthéogène[4].
En 1980, Harner publie The Way of the Shaman: a Guide to Power and Healing[7].
En 1983, Harner fonde le Center for Shamanic Studies, qui est aujourd'hui connu sous le nom de Foundation for Shamanic Studies[8].
Ses recherches l'ont amené à définir le « Core Shamanism » (qui se traduirait par « chamanisme fondamental »), qui synthétise ce que Harner considère être le tronc commun essentiel des techniques issues des traditions chamaniques, dans le but de les rendre utilisables et accessibles aux personnes de culture occidentale[9].
Selon l'anthropologue Dr. Bonnie Glass-Coffin, c'est grâce à tous ses travaux de recherche auprès des communautés autochtones que Michael Harner peut définitivement être considéré comme l'un des pionniers de la renaissance du chamanisme dans les pays occidentaux[10].
Carlos Castaneda
[modifier | modifier le code]En 1968, Carlos Castaneda, un jeune étudiant en anthropologie à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), publie son premier ouvrage : The Teachings of Don Juan. A Yaqui Way of Knowledge. Celui-ci est d’abord accepté et publié par les presses de l’université, et rencontre un succès inattendu pour une publication académique à tel point que Michael Korda des éditions Simon & Schuster, publie en 1968 son mémoire dans une édition moins confidentielle. The Teachings of Don Juan. A Yaqui Way of Knowledge raconte à la première personne, à la manière d'une enquête ethnologique, la rencontre, en 1960, de don Juan Matus, un sorcier yaqui, dont il reçoit les apprentissages[11]. L'ouvrage dans sa traduction en français est publié en 1972 sous le titre L'Herbe du diable et la petite fumée[12].
Le travail de Castaneda a par la suite été mis en doute, et sa thèse de doctorat obtenue à l’UCLA a été qualifiée de « plus grosse bêtise » commise par cette université selon Richard de Mille dans deux livres attaquant Castaneda[13],[14]. Selon lui, il s'agit largement d'une imposture : le travail de Castaneda n'est pas une œuvre ethnographique, mais relève plutôt du génie romancé[14]. Il a également été critiqué pour avoir provoqué un afflux massif d'Occidentaux vers les territoires autochtones où il disait avoir reçu son initiation[15].
Naissance d'un véritable mouvement
[modifier | modifier le code]Si tous les continents connaissent ou ont connu des formes de chamanisme[16], on a assisté dans le monde occidental à une réappropriation populaire du chamanisme, dans un premier temps principalement par des mouvements associés au New Age, notamment en Amérique du Nord, et en Europe[17],[18], et plus récemment par certains milieux écologistes[19],[20], notamment liée à l'écologie profonde[21].
En 2019, est organisé à Genac (Charente) en France, le douzième Festival du Chamanisme rassemblant plusieurs milliers de personnes[22],[23],[24].
Analyse d'un phénomène moderne
[modifier | modifier le code]Pour Laurent Huguelit, élève de Michael Harner et formé à la Foundation for Shamanic Studies[25], l'intérêt actuel des occidentaux pour le chamanisme s'expliquerait par un besoin actuel d'« une spiritualité de nettoyage et une spiritualité qui nous reconnecte à la nature »[20].
Pour la psychothérapeute Esther Bulang, le chamanisme serait une « forme primordiale de spiritualité » et que cette forme répondrait au besoin actuel de reconnexion à la nature et à sa propre nature[26]. Il serait porteur d'une potentialité de recouvrir de nombreux équilibres que le monde moderne nous a fait perdre.
Selon le sociologue Raphaël Liogier, « Le chamanisme a tout pour plaire à des Occidentaux en perte de mythologie, inquiets des ravages du matérialisme, parce qu’il symbolise la religion non dévoyée, plus spirituelle que religieuse, non monothéiste donc non dogmatique ni moraliste, écologique car sacralisant la Terre-Mère [...][22]. »
Rites et croyances
[modifier | modifier le code]Tourisme néo-chamanique
[modifier | modifier le code]Comme dans le tourisme chamanique, des personnes veulent être initiées à des traditions anciennes et consomment des hallucinogènes, par exemple l'ayahuasca[27].
Critiques
[modifier | modifier le code]Les adeptes de néo-chamanisme peuvent consommer des hallucinogènes pouvant comporter des effets secondaires dangereux[28],[29]. Le risque de dérives sectaires existent aussi comme le souligne la MIVILUDES[30]. Les Amérindiens dénoncent les faux-chamans[31] et une appropriation culturelle de leurs traditions ancestrales[32]. Ils ont dénoncé aussi certaines fausses pratiques qui ont entrainées la mort de 3 personnes dans un stage[33].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Juan Scuro et Robin Rodd, Encyclopedia of Latin American Religions, Springer International Publishing, (DOI 10.1007/978-3-319-08956-0_49-1), « Neo-Shamanism »
- Tatyana Bulgakova, « Shaman on the Stage (Shamanism and Northern Identity) », Pro Ethnologia, vol. 11, no Cultural Identity of Arctic Peoples: Arctic Studies 5, , p. 9–24 (lire en ligne, consulté le )
- David Chidester, « Zulu dreamscapes: senses, media, and authentication in contemporary neo-shamanism », Material Religion, vol. 4, no 2, , p. 136–158 (DOI 10.2752/175183408X328271, lire en ligne, consulté le )
- Robert J. Wallis, Shamans/Neo-Shamans: Ecstasies, Alternative Archaeologies and Contemporary Pagans, Routledge, (ISBN 978-0415302036)
- Harner, Michael J. (1968) The Sound of Rushing Water. Natural History 1968 77 28-34.
- Harner, Michael J., ed. and contributor (1973) Hallucinogens and Shamanism. New York and London: Oxford University Press.
- Harner, Michael (1980) The Way of the Shaman. San Francisco: Harper & Row. Third edition, 1990.
- Robert J. Wallis, Shamans/Neo-Shamans: Ecstasies, Alternative Archaeologies and Contemporary Pagans, Routledge, (ISBN 978-0415302036)
- « Core Shamanism Official Definition », sur www.shamanism.org (consulté le )
- Bonnie Glass-Coffin, « The Future of a Discipline: Considering the Ontological/Methodological Future of the Anthropology of Consciousness, Part IV: Ontological Relativism or Ontological Relevance: An Essay in Honor of Michael Harner », Anthropology of Consciousness, vol. 23, , p. 113-126 (DOI 10.1111/j.1556-3537.2012.01062.x, lire en ligne)
- (en) The Teachings of Don Juan: A Yaqui Way of Knowledge, University of California Press, 1 janv. 1972 - 196 pages, (ISBN 9780520022584)
- Castaneda, Carlos (1972) L'herbe du diable et la petite fumée - une voie yaqui de la connaissance, Le Soleil Noir, 1 janv. 1972
- De Mille, Richard, 1922-, The Don Juan papers : further Castaneda controversies, iUniverse.com, Inc, (ISBN 0-595-14499-3 et 978-0-595-14499-0, OCLC 51638791, lire en ligne)
- De Mille, Richard, 1922-, Castaneda's journey : the power and the allegory, iUniverse, (ISBN 978-0-595-14508-9 et 0-595-14508-6, OCLC 173692281, lire en ligne)
- « The dark legacy of Carlos Castaneda », sur Salon, (consulté le )
- (en) Manvir Singh, « The cultural evolution of shamanism », Behavioral and Brain Sciences, vol. 41, , e66 (ISSN 0140-525X et 1469-1825, DOI 10.1017/S0140525X17001893, lire en ligne, consulté le )
- (en) Gredig, Florian., Finding new cosmologies : Shamans in contemporary Europe, Vienne, Lit, , 165 p. (ISBN 978-3-643-80027-5 et 3-643-80027-4, OCLC 432409413, lire en ligne)
- (en) Dawne Sanson, « New/old spiritualities in the West: Neo-shamans and neo-shamanism », Handbook of Contemporary Paganism, , p. 433–462 (lire en ligne, consulté le )
- « Le chamanisme, subversion pacifique pour un dialogue social », sur Kaizen (consulté le )
- « Laurent Huguelit : « Ce que la forêt nous enseigne…» », sur Kaizen (consulté le )
- (en) K von Stuckard, « Reenchanting nature: modern western shamanism and nineteenth-century thought », Journal of the American Academy of Religion, vol. 70, no 4, , p. 771–800 (ISSN 0002-7189 et 1477-4585, DOI 10.1093/jaar/70.4.771, lire en ligne, consulté le )
- « Le boum du tourisme chamanique », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « Charente : l'irrésistible énergie du festival des chamans », sur France Bleu, (consulté le )
- « Danses, prières… : les chamans du monde entier sont réunis à Génac en Charente », sur France 3 Nouvelle-Aquitaine (consulté le )
- « International Faculty - Shamanic Teachers of The Foundation for Shamanic Studies », sur www.shamanism.org (consulté le )
- Esther Bulang, « Spiritualité – Chamanisme – Psychothérapie », à jour! Psychotherapie-Berufsentwicklung, vol. 8, no 1, , p. 58–61 (ISSN 2504-5202, DOI 10.30820/2504-5199-2019-1-58, lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Catherine Halley, « The Colonization of the Ayahuasca Experience », sur JSTOR Daily, (consulté le )
- « Néo-chamanisme : attention aux dérives, prévient la Miviludes », sur Doctissimo, (consulté le )
- (en) Kelly Hearn, « The Dark Side of Ayahuasca », sur Men's Journal, (consulté le )
- « La Miviludes s'inquiète des dérives du néo-chamanisme », sur www.20minutes.fr, (consulté le )
- « Deux faux chamans expulsés de Wendake », sur Radio-Canada (consulté le )
- Marie-Noëlle Petropavlovsky, « L’appropriation culturelle et identitaire, une entrave aux processus de guérison autochtone », Drogues, santé et société, vol. 20, no 1, , p. 140–171 (ISSN 1703-8839 et 1703-8847, DOI 10.7202/1090702ar, lire en ligne, consulté le )
- (en) « Native History: A Non-Traditional Sweat Leads to Three Deaths », sur ICT News, (consulté le )
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Denise Lombardi, Le néo-chamanisme - Une religion qui monte ?, Cerf, 2023.
- Constantin Lupascu, Le néo-chamanisme de Michael Harner : Étude des transformations du chamanisme classique, Éditions universitaires européennes, 2015.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Chamanisme
- New Age
- Écologie profonde
- État modifié de conscience
- Tourisme chamanique
- Michael Harner - Carlos Castaneda
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :