Projet Bluebird — Wikipédia

Sceau de la CIA en noir et blanc.

BLUEBIRD est un ensemble de programmes de recherche sur la manipulation mentale mis en place par la Central Inteligence Agency (CIA) en 1949 et 1950, avant de changer de nom de code pour devenir ARTICHOKE le . Son existence est révélée au début des années 1970 par les enquêtes de plusieurs commissions parlementaires sur les activités clandestines des services secrets américains.

La recherche américaine d'un agent chimique capable d'influencer le comportement humain est initiée par les dirigeants de l'Office of Strategic Service (OSS) au début des années 1940[1],[2],[3].

En 1949, dans un contexte de Guerre froide, le procès du cardinal József Mindszenty, et ses aveux face aux accusations du régime communiste hongrois, alertent les hauts fonctionnaires de la CIA. Mis en scène dans le but d'annihiler l'influence de l’Église catholique en Hongrie, cet évènement a été préparé et le cardinal drogué à l'aide de plusieurs substances durant des jours. En réaction, un premier projet américain chargé d'explorer les possibilités dans ce domaine débute[4],[5],[6],[7].

Une équipe restreinte de chimistes est mobilisée à Fort Detrick, soutenue par la Division des opérations spéciales (SOD) de l'U.S. Army Chemical Corps. Des agents sont envoyés en Europe et en Asie pour collecter des informations sur les méthodes de « lavage de cerveau » communistes, interrogeant des prisonniers et des transfuges. Un an plus tard, le , le directeur de l'agence Roscoe H. Hillenkoetter approuve BLUEBIRD et autorise l'utilisation de fonds clandestins dédiés au projet[7],[8],[9].

Généralités

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Un comité de direction, présidé par le colonel Sheffield Edwards, est chargé d'encadrer les expérimentations et la mise en place d'équipes opérationnelles. Il est composé de responsables issus de plusieurs sections de la CIA : l'Office of Special Operations (OSO), l'Office of Policy Coordination (OPC), l'Inspection and Security Office (I&SO), le Technical Service Staff (TSS) et l'Office of Medical Service (OMS)[1],[3],[10].

BLUEBIRD est le premier projet de la CIA en lien avec l'utilisation d'agents chimiques et biologiques. Centrée sur les méthodes d'interrogatoire, une grande partie des recherches sont consacrées à l'élaboration de procédures permettant de créer « une altération exploitable de la personnalité » chez des individus sélectionnés[9],[3].

En 1976, le rapport de la commission Church liste quatre objectifs principaux, parmi lesquels « Découvrir des moyens de conditionner le personnel pour empêcher l'extraction non autorisée d'informations par des moyens connus » et « Étudier la possibilité de contrôler un individu par l'application de techniques d'interrogatoire spéciales »[8].

En parallèle des recherches expérimentales, la formation d'équipes d'interrogatoire prêtes à intervenir sur demande d'un service opérationnel de l'agence est une autre priorité. Une note déclassifiée indique un objectif d'au moins deux équipes, constituées selon des critères qui sont précisés[6],[11].

« L'objectif immédiat du programme est de fournir des équipes de recherche utilisant la couverture des interrogatoires polygraphiques pour déterminer la bonne foi des transfuges et agents à haut potentiel, et aussi pour la collecte de données secondaires issues de ces projets. Une équipe doit être composée de trois personnes comprenant un psychiatre, un spécialiste de l'hypnose, et un agent. »
— Extrait traduit d'une note du projet BLUEBIRD datée du 5 avril 1950[10]

En annexe de cette même note, le budget prévisionnel pour une année est détaillé et estimé à 65 515 dollars. De nombreux financements supplémentaires sont obtenus, mais les données budgétaires sont rares et difficiles à appréhender[10]. Pour les besoins du projet, des universitaires et des experts spécialisés en cognition, criminologie, médecine et psychiatrie sont recrutés comme consultants, tandis que plusieurs hôpitaux, universités, pénitenciers et bases militaires servent de laboratoires où la plupart des sujets sont des personnes atteintes de troubles mentaux légers ignorant leur rôle de cobaye. Dans d'autres cas, des volontaires sont recrutés en échange d'une rémunération[3],[12].

Menées en parallèle du projet CHATTER, programme similaire de la marine des États-Unis, les expérimentations de BLUEBIRD peuvent s'appuyer sur les données obtenues par la marine et l'OSS[3],[6]. Des canaux de communication indépendants des circuits officiels sont mis en place en raison de l'extrême sensibilité des activités[13]. Un partenariat secret est conclu avec le laboratoire suisse Sandoz Pharmaceuticals pour fournir du LSD à tous les sites du projet abritant un programme expérimental. En échange de la drogue, l'agence devait fournir au laboratoire un accès total aux données de recherche, ce qu'elle ne fît pas[14],[15].

Expérimentations

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Aux États-Unis

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Le premier transport d'une cargaison de LSD à destination des États-Unis a lieu en 1949. La drogue est acheminée jusqu'à Boston où le médecin qui en a fait la demande, le Dr Max Rinkel, mène des expérimentations au Boston Psychopathic Hospital. Des volontaires, environ une centaine, sont recrutés pour tester les effets du psychotrope pendant une journée[14],[15],[16]. L'étude est présentée lors de la conférence annuelle de l'Association américaine de psychiatrie en 1950, au cours de laquelle Rinkel soutient que l'utilisation du LSD provoque une « agitation psychotique transitoire » proche de la schizophrénie. Son propos est repris par le Dr Paul Hoch, un autre psychiatre qui sera quelques années plus tard l'instigateur d'un programme similaire à New York, causant la mort d'un homme[17],[18].

Une collection de fichiers liés aux projets BLUEBIRD et ARTICHOKE sont retrouvés et examinés en 1977, indiquant un fort intérêt des responsables du programme pour l'hypnose[1],[12]. Morse Allen, un ancien officier de la marine affecté à l'Office of Security en 1950, se concentre sur des méthodes alternatives à l'utilisation d'agents chimiques, en particulier les états transitoires qui résultent d'un profond sommeil ou d'une série de chocs électriques. En 1951, il s'entretient avec un psychiatre réputé, consultant pour l'agence, afin de recueillir ses conclusions sur l'utilisation des électrochocs. Peu de temps après la remise de son rapport, l'OSI recommande qu'une subvention de 100 000 $ soit versée à ce même psychiatre pour développer ces techniques[6],[3].

En Allemagne

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Après la Seconde Guerre mondiale, l'armée des États-Unis investit une ancienne base militaire notoirement utilisée comme centre d'interrogatoire par la Luftwaffe. Des équipes du projet BLUEBIRD y sont déployées pour mener des expérimentations classées secrètes sur des prisonniers soviétiques, sous la supervision de Kurt Blome, ancien responsable du programme d'armement chimique du Troisième Reich[7],[19],[20]. Allen visite le site, rebaptisé Camp King, pour y superviser plusieurs expérimentations, à l'instar des médecins de la marine affectés au projet CHATTER et de Frank Olson, biochimiste du SOD. Il sera aussi utilisé par les équipes du projet ARTICHOKE.

À quelques kilomètres de la base, près du village de Kronberg, une maison abrite une salle en sous-sol pour les interrogatoires les plus sensibles. Considéré comme une des premières prisons secrètes de la CIA et surnommé « villa Schuster », le lieu a aussi été visité par les mêmes agents et scientifiques du renseignement américain[7],[19],[20].

Fin du projet

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Le , le projet BLUEBIRD est renommé ARTICHOKE[1],[8],[21]. En 1953, ce projet est intégré à MK-ULTRA, vaste effort entrepris par la CIA pour le contrôle du comportement humain[5].

Notes et références

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  1. a b c et d (en) « Rapport sur le matériel BLUEBIRD/ARTICHOKE », CIA-RDP81-00261R000300050005-3 [PDF], sur cia.gov, déclassifié le 1 mai 2002
  2. (en) John M. Crewdson, Jo Thomas, « Files Show Tests For Truth Drug Began in O.S.S. », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  3. a b c d e et f Lee et Shlain 1985, p. 13-19.
  4. (en) « Mind‐Control Studies Had Origins in Trial of Mindszenty », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  5. a et b (en) George Lardner Jr. et John Jacobs, « Lengthy Mind-Control Research by CIA Is Detailed », The Washington Post,‎ (lire en ligne)
  6. a b c et d (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Time Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6), p. 18-22
  7. a b c et d (en) Stephen Kinzer, Poisoner In Chief : Sidney Gottlieb and the CIA Search for Mind Control, Henry Holt & Company, , 320 p. (ISBN 9781250140449, LCCN 2019007076), p. 35-48
  8. a b et c (en) Commission Church - Sénat des États-Unis, Ninety-Fourth Congress, Second Session, Book I : Foreign and Military Intelligence, Washington, U.S. Government Printing Office, , 659 p. (lire en ligne), p. 387-389
  9. a et b (en) Alfred W. McCoy, A Question of Torture : CIA Interrogation, from the Cold War to the War on Terror, Metropolitan Books, , 290 p. (ISBN 0805080414), p. 26-30
  10. a b et c (en) Colonel Sheffield Edwards, « Note du projet BLUEBIRD - 5 avril 1950 », CIA-RDP83-01042R000800010003-1 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 27 août 2003
  11. Albarelli 2009, p. 379-385.
  12. a et b (en) Bill Richards et John Jacobs, « CIA Conducted Mind-Control Tests Up to '72, New Data Show », The Washington Post,‎ (lire en ligne [PDF])
  13. (en) Colonel Sheffield Edwards, « Note du projet BLUEBIRD - 17 mars 1951 », CIA-RDP83-01042R000800010003-1 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 27 août 2003
  14. a et b Lee et Shlain 1985, p. 25-30.
  15. a et b (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Time Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6), p. 39-48
  16. (en) Joseph B. Treaster, « Researchers Say That Students Were Among 200 Who Took LSD in Tests Financed by C.I.A. in Early '50's », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  17. Lee et Shlain 1985, p. 37-38.
  18. (en) Joseph B. Treaster, « Army Discloses Man Died In Drug Test It Sponsored », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  19. a et b (en) Alfred W. McCoy, « Science in Dachau's shadow : Hebb, Beecher, and the development of CIA psychological torture and modern medical ethics », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. 43 (4),‎ , p. 401-417 (lire en ligne)
  20. a et b (en) Annie Jacobsen, « What Cold War CIA Interrogators Learned from the Nazis », The Daily Beast,‎ (lire en ligne)
  21. (en) Jan Goldman, The Central Intelligence Agency : An Encyclopedia of Covert Ops, Intelligence Gathering, and Spies, ABC-CLIO, , 911 p. (ISBN 1610690915), p. 26

Bibliographie

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  • (en) Martin A. Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3)
  • (en) Hank P. Albarelli, A Terrible Mistake : The Murder of Frank Olson and the CIA's Secret Cold War, Trine Day, , 912 p. (ISBN 9780984185887)

Articles connexes

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