Gaspard Winckler — Wikipédia
Gaspard Winckler est un personnage de trois livres de Georges Perec : Le Condottiere (1960), W ou le souvenir d'enfance (1975) et La Vie mode d'emploi (1978).
Le personnage
[modifier | modifier le code]Gaspard pas mort
[modifier | modifier le code]La première apparition de Gaspard Winckler date d'un projet de 1958, Gaspard pas mort. Le héros était un enfant de Belleville qui rêvait de devenir « le roi des faussaires, le prince des escrocs, l'Arsène Lupin du XXe siècle. » Le roman aurait obéi à un plan très strict, avec quatre parties, seize chapitres, 64 sous-chapitres, 256 paragraphes. La première version de 350 pages est refusée par Le Seuil. Une nouvelle version est d'abord acceptée par Gallimard en , puis finalement refusée en [1]. Le manuscrit est aujourd'hui perdu.
Le Condottière
[modifier | modifier le code]Dans Le Condottière, Gaspard Winckler est un « faussaire de génie[2] » chargé par un nommé Madera de réaliser un faux Antonello de Messine en s'inspirant du portrait du Condottière conservé au Louvre. Winckler assassine Madera dès les premières pages, et ne cesse au long du roman de se demander pourquoi.
W ou le souvenir d'enfance
[modifier | modifier le code]Dans W ou le souvenir d'enfance, Gaspard Winckler est un personnage double, qui n'apparaît que dans la première partie du livre. C'est d'abord le nom d'un enfant de huit ans, sourd-muet, vivant dans un état de totale prostration, que sa mère emmène faire un tour du monde dans l'espoir d'améliorer son état. C'est aussi celui d'un déserteur qui utilise celui de l'enfant, dont le passeport lui a été fourni par un réseau d'aide. Le bateau où se trouvait l'enfant ayant fait naufrage, un personnage mystérieux demande au faux Gaspard Winckler de retrouver le vrai.
La Vie mode d'emploi
[modifier | modifier le code]Dans La Vie mode d'emploi, Gaspard Winckler est un artisan chargé par Bartlebooth de transformer en puzzles de 750 pièces chacune des 500 aquarelles qu'il a peintes pendant son tour du monde. Bartlebooth a prévu 20 ans pour les reconstituer. Les aquarelles sont ensuite renvoyées sur le lieu où elles avaient été réalisées, pour y être détruites. Winckler truffe ses puzzles de pièges de plus en plus complexes, jusqu'à ce qu'il provoque la mort de Bartlebooth par son piège ultime.
Origine du nom
[modifier | modifier le code]Le nom
[modifier | modifier le code]Le nom de Winckler a été rapproché de deux mots allemands :
- Winkel, angle, un concept mathématique qui peut se représenter par un V aux branches plus ou moins écartées, le V dédoublé constituant la figure de base d'une géométrie fantasmatique qui fut un symbole majeur de l'enfance de Perec.
- Wink, signe, qui correspond aux procédés d'écriture de Perec, encryptant la signification de ses textes à l'intérieur de ses textes[3].
Le biographe de Perec, David Bellos, effectue un rapprochement entre ce nom et un objet, « sorte de tube de cuivre coudé qui se terminait d’un côté par un clapet à ressort et de l’autre par une tige filetée », dont il est question dans Les Lieux d'une fugue, et deux fois dans La Vie mode d'emploi. Il s'agit d'un Winkley, dispositif indispensable pour les voitures, les autobus et les camions, dont il existait des millions d'exemplaires. Perec aurait pu connaître « le nom d’un objet aussi banal et d’usage courant à cette époque »[4].
Pour Perec lui-même, ce nom n'a pas une consonance anglaise, mais allemande, ou suisse allemande[5].
Le prénom
[modifier | modifier le code]Les exégètes s'accordent sur la filiation du prénom de Winckler avec celui de Kaspar Hauser, enfant trouvé à l'origine énigmatique, orphelin à l'enfance perdue, comme Perec[3],[6]. En 1958, Perec avait demandé à un ami « des tuyaux sur le poème de Verlaine intitulé La Chanson de Kaspar Hauser[7]». Il s'agissait de Je suis venu, calme orphelin, figurant dans le recueil Sagesse[8] :
Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde ;
Priez pour le pauvre Gaspard !
Analyse du personnage
[modifier | modifier le code]Un rapprochement entre les Gaspard Winckler du Condottière et de La Vie mode d'emploi a été fait par Claude Burgelin : Le Condottière est le récit d'une vengeance, comme dans La Vie mode d'emploi, où le modeste artisan découpeur de pièces de puzzles se venge lentement et sûrement de son commanditaire Percival Bartlebooth, « vengeance du serviteur méprisé, de l'artisan humilié de voir la perfection de son travail ne servir qu'à une œuvre de mort : la destruction des images reconstituées[9] ».
Si pour Perec, le Winckler de La Vie mode d'emploi est « le frère jumeau » de Bartlebooth[10], leur relation a également été analysée comme celle liant un psychanalyste et son analysant, en l'occurrence J.B. Pontalis et Perec[11].
Filmographie
[modifier | modifier le code]- Catherine Binet, qui fut la compagne de Georges Perec pendant les dernières années de sa vie, a réalisé en 1990 Un film sur Georges Perec, composé de deux parties de 90 minutes chacune : Te souviens-tu de Gaspard Winckler ? et Vous souvenez-vous de Gaspard Winckler ?[12]
Postérité
[modifier | modifier le code]- L'écrivain Martin Winckler a choisi son pseudonyme en référence à Gaspard Winckler[13].
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- David Bellos, Winckler fait tache d'huile, Formules, n° 6, avril 2002. Lire en ligne.
- Élise Harrer, Prolégomènes à une mathématique perecquienne, Littératures,n° 30, 1994. Lire en ligne.
- Patrizia Molteni, Faussaire et réaliste : le premier Gaspard de Georges Perec, Cahiers Georges Perec, n° 6, Seuil, 1996.
- Ewa Pawlikowska, La colle bleue de Gaspard Winckler, Littératures,n° 7, 1983. Lire en ligne.
Article connexe
[modifier | modifier le code]Notes et références
[modifier | modifier le code]- Claude Burgelin, préface au Condottière, Seuil, 2012, p. 9-10.
- W ou le souvenir d'enfance, chapitre XXI.
- Élise Harrer, Prolégomènes à une mathématique perecquienne, Littératures,n° 30, 1994. Lire en ligne. (Sont développés dans l'article d'autres acceptions du mot Winkel).
- David Bellos, Winckler fait tache d'huile, Formules, n° 6, avril 2002. Lire en ligne
- Entretien avec Gabriel Simony, juin 1981, repris dans Entretiens et conférences, Éditions Joseph K., 2003, volume II, p. 214.
- Manet van Montfrans, Georges Perec, la contrainte du réel, Rodopi, 2004, p. 179.
- Cité par David Bellos, Georges Perec, une vie dans les mots, Seuil, 1994, p. 216.
- Texte complet sur Wikisource. Lire en ligne.
- Claude Burgelin, préface au Condottière, Seuil, 2012, p. 19.
- Le Magazine littéraire, n° 141, octobre 1978, repris dans Entretiens et conférences, Éditions Joseph K., 2003, volume I, p. 239.
- Cllaude Burgelin, Les Parties de domino chez Monsieur Lefèvre, Circé, 1996. Voir aussi Michel Contat, Perec au regard de la psychanalyse, Le Monde, 28 mars 1997. Lire en ligne.
- Vous souvenez-vous de Gaspard Winckler ?, L'angoisse du vide, Le Monde, 10 février 1991. Lire en ligne.
- Plumes d'ange, 2003. Cité dans Marc Lapprand, La tentation de la contrainte dans l’œuvre romanesque de Martin Winckler, in Les Cahiers de Didactique des Lettres, 2014, note 3. (lire en ligne).